LE PRESIDENT JOVENEL MOISE NE PEUT PAS CHANGER LA CONSTITUTION EN L’ABSENCE DU PARLEMENT DIXIT JOSUE PIERRE LOUIS, DOCTEUR EN DROIT PUBLIC

Me Josué Pierre Louis place son mot dans le débat sur la réforme constitutionnelle. Nous reproduisons son texte in extenso.

Changer la constitution de 1987 ou changer de constitution ?

Josué PIERRE-LOUIS, docteur en droit public

Le droit est moins ce qu’en disent les textes que ce qu’en font les auteurs

Un texte constitutionnel ne peut vivre que s’il est amendé, adapté, amélioré. Les constitutions ne sauraient être « des tentes dressées pour le sommeil » selon la formule de Royer-Collard. La procédure de révision est un instrument d’adaptation raisonnable. La Constitution de 1987 est rigide et sa révision est difficile. Les constituants ont sans doute voulu éviter que les amendements soient rédigés trop hâtivement par des mains peu expérimentées et que la clarté, l’harmonie, la logique et l’ordonnancement juridique en souffrent. Il faut trier le bon grain de l’ivraie.

Une lecture juridique de la constitution de 1987

La Constitution du 29 mars 1987 suscite débat depuis son adoption. A la vérité, elle n’est loin d’être parfaite, mais elle représente à l’heure actuelle la dernière citadelle de la souveraineté nationale et elle résiste toujours. La vertu essentielle de la Constitution de 1987 aura été en définitive, qu’elle préserve les grandes libertés, même au prix de quelques ambiguïtés et contradictions. Elle a joué son rôle, alors même qu’elle n’a pu montrer son efficacité, quand les hommes et les circonstances ne jouaient pas en sa faveur, préférant la contourner plutôt que l’utiliser.  

Faite sous un autre éclairage, la lecture de la constitution de 1987 en révèle des aspects méconnus. Il me semble que la lecture faite, à date, était politique ; il faut désormais en faire une lecture juridique. La Constitution n’est plus seulement une idée, c’est une règle. Souvent désignée, par les constitutionnalistes, comme le « statut de l’État », la constitution est à la fois la règle suprême d’un État moderne entant qu’elle est l’expression de la souveraineté nationale et la règle fondamentale en raison du rang le plus élevé qu’elle occupe dans la hiérarchie des normes juridiques. La Constitution pose le droit du droit.

La Constitution de 1987 est une constitution normative, et pas seulement institutionnelle. On a trop longtemps mis l’accent sur les institutions. Or le contenu normatif révélé de la Constitution est aujourd’hui tout à fait important et a été longtemps occulté. Pendant trente-trois ans, elle n’a pas été d’application continue en tant que document de référence de l’organisation de l’État. Au fur et à mesure que se développent l’application et l’interprétation des dispositions constitutionnelles, il s’avère que, pour les praticiens, la Constitution contenait potentiellement un système normatif d’une grande complexité qui, petit à petit mis à jour, apparait comme particulièrement bien conçu et agencé. Il s’agit d’une série de mécanismes ou de rouages juridiques complexes, reliés et s’articulant entre eux et composant un réseau normatif très cohérent, dont la valeur a été largement sous-estimée.

Interprétées de manière conséquente et coordonnée, les articles 1, 58, 61, 61.1, 111, 111.1, 120, 121, 139, 140, 141, 142, 155, 156, 159, 159.1, 160, 171, 276, 276.2, 278.1, 278.2, auraient pu donner toute leur dimension aux dispositions de fond contenues dans la constitution. Elle serait ainsi devenue du droit vivant.

La Constitution normative de 1987 est une Constitution moderne par ce trait. Elle s’insère, de ce fait, dans le mouvement constaté en droit comparé au cours des cinquante dernières années. Cela laisse entier deux questions : la volonté d’en faire un outil d’équilibre de la vie politique et du fonctionnement de l’État et son applicabilité au regard de l’état de la société et du niveau des hommes qui doivent lui donner vie.

La Constitution de 1987 pose le principe de l’État de droit

L’État de droit s’inspire de la volonté d’encadrer le rôle de l’État afin de limiter sa puissance et de lutter contre l’arbitraire.  L’État de droit devient un marqueur de changement en liant le terme à la démocratie et au respect des droits fondamentaux. La garantie des droits fondamentaux constitue l’un des fondements essentiels des sociétés démocratiques. Les droits fondamentaux occupent de nos jours, une place centrale dans les constitutions modernes. Ils s’imposent comme une partie essentielle de la Constitution.

          La Constitution de 1987 consacre également le principe de la séparation des pouvoirs, le fondement de tout État moderne. La séparation des pouvoirs a été une recette institutionnelle libérale pour garantir les libertés publiques. Montesquieu a précisé : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour que l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

          L’article 16 DDHC, qui s’est changé en axiome constitutionnel, rattache la garantie des droits fondamentaux à la séparation des pouvoirs et à l’existence d’une Constitution énoncé de règles supérieures du droit et donc expression de la hiérarchie des normes : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

          Ainsi, Théorie des droits fondamentaux, hiérarchie des normes et séparation des pouvoirs sont étroitement liés. D’une part, il ne saurait exister de droits fondamentaux sans une Constitution qui, au sein d’un ordre juridique défini par l’État, structure cet ordre juridique et assure son unité. D’autre part, hiérarchie des normes et séparation des pouvoirs sont des principes structurants, indispensables à la protection des droits fondamentaux dont ils assurent en effet l’identification, en déterminant les autorités compétentes pour les instaurer, les modifier, les compléter tant sur un plan vertical (hiérarchie des normes) qu’horizontal (séparation des pouvoirs).

Quand et comment changer la constitution ?

Le pouvoir constituant « originaire » fonde un régime. C’est donc le pouvoir constituant qui attribue aux pouvoirs constitués leurs compétences. Ces compétences ne peuvent être déléguées par les pouvoirs constitués sauf si le constituant l’a expressément prévu et autorisé, alors que le pouvoir constituant dérivé relève du droit, car il y a alors des règles juridiques à respecter.

Pour établir la distinction, il faut admettre que le pouvoir de révision n’est pas souverain. Le pouvoir de révision reste en toute hypothèse un pouvoir subordonné au constituant. Politiquement, pour reprendre la fameuse formule de Sieyès, le pouvoir constituant dérivé ne dispose pas d’un blanc-seing et n’est pas capable de « déconstituer » l’œuvre constituante.  S’il y a « déconstitution », cela se fera par une révolution, non par une révision. C’est la théorie de la « fraude à la constitution ».

Sur le plan juridique, le pouvoir constituant dérivé, en l’occurrence le président de la République, puisqu’il n’y a pas de parlement, ne peut pas changer la constitution, en dehors des voies tracées par le constituant originaire, ni changer de constitution. Sinon, il répudie du même coup le fondement du pouvoir politique et l’esprit même de la constitution, il sape les bases même de son propre pouvoir, de l’ordre qui est devenu sa justification. On ne peut pas emprunter la voie juridiquement contestable d’adopter une nouvelle charte par voie de référendum dans les circonstances actuelles.

Il est reconnu qu’un peuple a toujours le droit de réformer ou de changer de constitution. Une génération ne peut assujettir les générations futures. Mais ça doit se faire dans les règles de l’art. Les corrections et les ajustements nécessaires doivent être portés sur l’ensemble du texte constitutionnel, avec l’ambition de moderniser les institutions sur tous les fronts, autour d’un large consensus, le temps venu. Toute autre option serait néfaste pour le pays.

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