Par Dr Serge Philippe Pierre
Le droit haïtien est passé au crible par le Dr Josué Pierre Louis qui a présenté une analyse exhaustive du système juridique haïtien, par rapport au droit français dont il est issu, au lendemain de l’indépendance. Il dénonce, en effet, une forme de dualisme qui entache le droit haïtien, confiné dans une transposition qui superpose notre réalité, en la mettant en conflit avec un ordre de régulation à base de coutumes.
Sa plaidoirie à repenser le système actuel relève d’une vision somme toute moderniste, visant l’intégration d’un ensemble de pratiques de droit qui renvoient automatiquement à une véritable rupture, à un changement obligé, en vue d’un droit proprement haïtien. D’ailleurs, le préfacier de l’ouvrage, le professeur Camille Kuyu de l’Université Paris Saclay, a bien soutenu l’idée : « … la transposition maladroite du modèle français en Haïti a comme conséquence le fait que le droit haïtien est aujourd’hui dépassé et incapable de répondre à des demandes pressantes de justice et d’accès au droit de la part des populations. »
Le Dr Pierre-Louis, à travers son examen académique et rigoureux, analyse les effets pervers que pourrait entraîner cette dépendance, cette forme de plagiat du droit français. L’Etat moderne dont nous rêvons tous n’est pas indissociable de cette réforme en profondeur, de cette refonte du droit haïtien, jusqu’ici tributaire du droit français qui ne saurait, en aucun cas, répondre à aucune logique de notre société qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, entre l’existant et l’irréalisme européen. Ce que le professeur Kuyu a explicité dans sa brève présentation de cette publication :
« …il ne suffit pas de transférer un texte pour transférer un droit. Le texte ne parle que par les représentations qui lui sont associées. En effet, dans le discours juridique, il n’y a pas seulement le texte, mais les représentations qui y sont associées et qui lui donnent du sens. Ces représentations fonctionnent comme moments symboliques du droit et des institutions et n’est pas sans lien avec la confiance que les populations leur accordent… »
Cette ambivalence, mise en procès par le docteur, devrait ouvrir la voie à de nouvelles discussions, d’ordre épistémologique, concourant, cette fois, à un véritable consensus sur une réelle existence du droit haïtien, pris au piège, depuis sa naissance, du droit français. Cette absence d’originalité de notre système juridique accentue la faiblesse de l’Etat haïtien qui peine à se doter d’un régime juridique qui cadre avec la réalité du milieu.
Le Dr Josué Pierre-Louis a mis le doigt dans une plaie béante qui suppure depuis environ deux siècles, mais qui, aujourd’hui, presque à la fin du premier quart du 21e siècle, doit commencer à renaitre à travers cette analyse de haute facture et éminemment bien argumentée, qui, nécessairement, devra consacrer la fin d’une ère de confusion, de caducité et de supplantation de notre système juridique.
C’est dans cette perspective que Me Pierre-Louis lance, par son œuvre monumentale et géniale, le pari de la modernisation du droit haïtien qui a été institué à travers la reproduction des structures juridiques de l’ancienne puissance coloniale, sans savoir que, selon l’auteur, « l’introduction du droit français en Haïti n’a pas tenu compte des facteurs sociologiques endogènes ».
L’analyse du secrétaire général de la Présidence, en sa qualité d’expert international dans plusieurs domaines de la vie sociopolitique et académique, est venue clore, une fois pour toutes, un débat houleux qui a traversé plusieurs générations, mais sans avoir eu à apporter, de façon éclairée et des pistes de solution novatrices que nul ne saurait contester. Le Dr Pierre-Louis, éminent juriste et fin administrateur, homme d’une rigueur implacable, pointilleux comme lui seul, devra, en toute humilité, s’octroyer ce satisfecit d’avoir contribué amplement à la modernisation du système juridique d’Haïti, tout en mettant en évidence « la nécessité d’adopter un nouveau modèle juridique, mais coulé dans le moule d’un nouvel Etat : l’Etat de droit ».
Me Pierre-Louis, professeur des universités, a établi, à la lueur d’arguments scientifiques, un lien indissociable – l’un des points forts de son analyse – entre la modernisation du droit haïtien et la bonne gouvernance. Pour réformer et moderniser le droit haïtien, soutient-il, « il faudrait partir sur les bases d’une bonne gouvernance afin de résoudre les problèmes économiques liés à l’état de sous-développement et de pauvreté actuel. Cela permettra de jeter réellement les bases d’un nouvel Etat de droit dans lequel les principes régissant le droit nouveau pourraient être appliqués et respectés… »
C’est dans cet ordre d’idées que le Dr Josué Pierre-Louis, ancien secrétaire général de la Primature, ancien ministre de la Justice, a proposé « l’adoption d’un nouveau régime politique à travers une grande réforme de l’administration publique, de la justice et le rééquilibrage des pouvoirs publics ».
Il explique clairement et sans équivoque comment l’application du droit haïtien, qui souffre profondément d’un déficit de légitimité, de cohésion et d’originalité, a ses limites et entrave même le fonctionnement de la société, étant en inadéquation avec la réalité. Les séquelles post coloniales qui entourent l’application du droit haïtien, ont plus tendance à renforcer la complexité des rapports avec la société.
Dans le prolongement de cette problématique soulevée judicieusement par le Dr Josué Pierre-Louis, de nombreuses questions sur les pratiques du droit haïtien persistent, telles la souveraineté effective de l’État, la garantie des droits fondamentaux, la Constitution de 1987.
Nous souhaitons que la pertinence d’une telle œuvre soit appréciée, non seulement par la communauté de ses paires juristes, mais aussi par l’ensemble du monde intellectuel.
Agréable lecture.
Dr Serge Philippe Pierre