LA FJKL PRÉSENTE SON RAPPORT D’ANALYSE DU DÉCRET PORTANT CRÉATION DE L’ANI

LA FJKL PRÉSENTE SON RAPPORT D’ANALYSE DU DÉCRET PORTANT CRÉATION DE L’ANI

FJKL: Une Fondation, une nouvelle Forme de Citoyenneté, une Nation

Rapport

Les décrets portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) et celui pour le Renforcement de la Sécurité Publique menacent-t-ils les droits et libertés fondamentaux? la FJKL fait le point.

14 décembre 2020

Introduction :

•   Le décret portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) et celui pour le renforcement de la Sécurité Publique publiés tous les deux dans le journal officiel de la République, le Moniteur du jeudi 26 novembre 2020 (spécial No.40) soulèvent inquiétude, surprise, étonnement, indignation  et peur dans la société.  

•   Ces décrets, comme tous ceux pris par le Président Jovenel Moise souffrent d’abord d’un problème de légitimité lié à la situation politique actuelle qui est un état d’exception non déclarée. En effet, malgré la rupture de l’ordre constitutionnel en janvier 2020, aucune déclaration officielle n’informe la population et les partenaires internationaux de la spécificité de la situation actuelle et la durée requise  pour le retour à la normalité constitutionnelle. Il n’existe pas non plus de cadre légal (ou cadre de référence) bénéficiant d’un large consensus politique et social permettant au président de la République de diriger pendant cette période exceptionnelle. D’où le problème de légitimité des décisions prises par un chef de l’Etat singulièrement seul et animé de la volonté de retour aux méthodes et pratiques qui rappellent étrangement une période que l’on croyait révolue.

•   La méfiance et l’inquiétude sont renforcées par la multitude des décisions et décrets pris par le gouvernement de Jovenel Moise qui sont la négation pure et simple des droits proclamés et protégés par la constitution et les conventions internationales ratifiées par Haïti.

•   Les agissements du président Jovenel Moise présentent une telle similitude à ceux de François Duvalier au moment de conduire le pays vers la présidence à vie que la peur de voir le pays basculer dans une aventure sans lendemain se justifie et empêche même un débat ouvert et serein sur ses actes. A titre d’exemple, la manipulation constitutionnelle de Duvalier pour se débarrasser le 22 mai 1961 de la constitution de 1957 qui lui interdisait sa réélection :

•   Du 31 juillet 1958 au 31 janvier 1959, pendant donc six mois, Duvalier a fait promulguer 142 décrets ayant force de loi et portant sur des sujets variés tels modification du code pénal en vigueur, réorganisation des Forces Armées d’Haïti, usage des Fonds publics, etc. Duvalier s’est fait  donc passer pour le maitre absolu de la législation ;

•   Duvalier constatait la fin du mandat des députés et la caducité de celui des sénateurs ;

•   Duvalier considérait que « le salut du peuple est la loi suprême », donc au-dessus de la constitution et qu’il est permis à l’Exécutif qui en est le dépositaire et l’interprète, de décider, en dernière analyse, si la constitution doit être modifiée ou non.

•   Jugez-en vous-mêmes si l’histoire ne se répète pas.

•   C’est donc dans ce contexte que le gouvernement a publié le ″décret portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI)″ et celui pour le ″renforcement de la Sécurité Publique″ publiés tous les deux dans le journal officiel de la République, Le Moniteur du jeudi 26 novembre 2020 (spécial No.40).

•   Ces décrets menacent-ils les libertés et droits fondamentaux du peuple haïtien ? La FJKL tentera ici d’analyser ces décrets à la lumière des droits proclamés et garantis par la constitution et les conventions internationales auxquelles Haïti adhère. 

•   Du ″décret portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI)″.

•   Dans la pratique, Haïti, comme tout Etat, à travers ses Forces Armées, a toujours développé des services de renseignements militaires ou de renseignements civils, à travers le Ministère de l’Intérieur, ou dans notre cas, via le Palais national, la Police ou la Primature.

•   Les activités de renseignements en Haïti n’ont jamais fait véritablement l’objet d’études sur la doctrine et les méthodes de renseignements ou de législation. Les services de renseignements en Haïti sont plutôt connus sous la période des Duvalier. Il s’agissait en réalité d’une police politique, chargée de la censure, du contrôle de la situation politique interne et de la répression des mouvements d’opposition au régime en place souvent accusés de mouvements communistes ou subversifs. A ce titre, l’idée de légiférer sur les services de renseignements est une bonne chose. Mais, comment ? Et pourquoi ? Ce sont là des questions qui doivent faire l’objet de débats dans la société avant éventuellement d’aboutir au parlement. 

•   L’organisation, la doctrine, les missions, les méthodes de fonctionnement des services de renseignement, les problèmes du respect des droits de l’homme et du contrôle de ces services doivent être au cœur de ce débat. Analysons, à la lumière des obligations  erga omnes  de respect des droits humains,  le décret instituant ″ANI″

•   De l’organisation de l’ANI

•   L’ANI est présenté sous la forme d’un service de renseignement unique organisé en quatre directions (Direction Générale, Direction Centrale des Services de Renseignement, Direction Technique de Renseignement et Direction Départementale de Renseignement), incluant une Inspection Générale de Renseignement, un centre de traitement et d’Analyse de Renseignement et une académie de Renseignement.

•   Il convient de signaler ici que l’ANI ne comporte pas de :
•    Direction du Renseignement Extérieur ;
•   Direction chargée des enquêtes douanières et de la fraude fiscale  
•    Direction chargée des relations avec la justice.
•   Le traitement du renseignement et des actions contre les circuits financiers clandestins, les transactions douteuses, la fraude fiscale, le contrôle des frontières, la lutte contre la corruption et le blanchiment des avoirs ne sont donc pas considérés comme des menaces importantes pour l’Etat et son développement économique.  

•   Il n’y a donc pas un lieu commun d’analyse de renseignements stratégiques, tactiques, opérationnels, économiques et financiers justifiant le concept d’intelligence.

•   La doctrine des services de renseignements de Duvalier à nos jours n’a donc pas évolué. Dommage !
•   Des Missions de l’ANI

•   On sait que les services de renseignements ne peuvent exercer leurs missions sans se référer à une doctrine faite d’éléments à la fois théoriques et idéologiques. La doctrine dépend de la menace et détermine les méthodes et techniques à utiliser. La lutte contre le communisme, par exemple, n’étant plus une menace, la doctrine actuelle des services de renseignements ne peut être calquée sur celle des Duvalier dont la doctrine reposait sur deux menaces spécifiques : la lutte contre les mouvements subversifs et les mouvements communistes.

•   L’article 5 du décret présente la mission de l’Agence en ces termes : « L’Agence a pour mission la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière de renseignement et de contre-renseignement ».

•   Le même article donne une liste d’attributions à l’Agence dans lesquelles il est évident que la philosophie qui a présidé à la création de l’Agence, c’est la stabilité du gouvernement et non celle de l’Etat.

•   Dès lors que la mission de l’Agence se résume à la mise en œuvre de la politique du gouvernement, les méthodes et techniques qui en découleront ne viseront pas nécessairement à aider la société à veiller au maintien de sa souveraineté, c’est-à-dire à assurer son indépendance, son intégrité et la bonne marche des institutions qu’elle s’est données, par le règne de l’ordre et de la paix publique. 

•   Si la sécurité de l’État était au centre des intérêts de l’Agence et non  ceux du gouvernement elle pourrait bien travailler de manière à prévenir les atteintes aux organes du pouvoir et les violations des règles qui conditionnent l’exercice des pouvoirs de l’Etat.  A ce titre, les décisions qui ont conduit aux dysfonctionnements de l’Etat par la non organisation des joutes électorales de manière à déstabiliser l’Etat au profit d’un pouvoir personnel ou de groupes mafieux pourrait intéresser l’ANI. Mais telle que définie actuellement dans le décret, l’ANI serait plutôt intéressée à combattre même par des assassinats de leaders politiques, religieux, de la société civile organisée, de militants des droits humains ou des membres de la presse indépendante, bref de tous ceux qui s’aviseraient à critiquer les actions du pouvoir. En somme, le retour aux escadrons de la mort à l’intérieur des services de renseignements comme on en a connu en Haïti ou dans les pays de l’Amérique latine dans le passé est aujourd’hui encore possible.

•   Il y a là une nécessité de revoir la mission conférée à l’ANI.

•   De l’absence d’une structure de contrôle indépendante
•   L’existence de services de renseignements n’est pas incompatible avec les valeurs d’une société démocratique. Il s’agit même d’une obligation positive de l’Etat dans le sens commun des jurisprudences de la Cour interaméricaine et de la Cour européenne des droits de l’Homme.
•   Toutefois, les activités des services de renseignement doivent être contrôlées : 
•   par les juges, qu’il s’agisse du juge administratif notamment par l’intermédiaire du contrôle de légalité et du juge judiciaire ;
•   par les autorités administratives mises en place à cette fin ;
•   par le parlement.

•   Le décret portant création de l’ANI ne prévoit aucune structure de contrôle indépendante.
•   Or, il était possible de prévoir la création d’une structure de trois à cinq personnes pour un mandat à durée déterminée, renouvelable une fois et  dont la nomination pouvait être faite par le chef de l’Etat avec le concours des présidents de la Cour de Cassation et du Sénat de la République.
•   La mission de cette structure indépendante de contrôle porterait en particulier sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux citoyens-nes, ainsi que sur la coordination et l’efficacité des services de renseignement. Il s’agirait d’un contrôle externe et non interne, mais d’un contrôle effectif des services de renseignement afin d’assurer un respect concret des libertés fondamentales par l’ANI. 

•   L’absence de cette structure indépendante de contrôle est un vide juridique qui  fait de l’ANI un danger réel pour l’Etat de droit, une menace pour les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Il n’est pas raisonnable de faire de l’ANI une autorité secrète, autocontrôlée, autosaisie, avec tous les pouvoirs d’information, d’instruction et de police.

•   L’idée de placer les services de renseignement au-dessus de l’administration, des institutions régaliennes de l’Etat pour mieux les contrôler appartient au passé.

•   Des principes à affirmer dans la législation relative aux services de renseignement pour la protection des droits et libertés fondamentaux

•   La loi portant création de l’ANI doit reprendre, dans sa conception, et réaffirmer certains principes indispensables pour la protection des droits et libertés fondamentaux. On peut citer, à titre d’exemple :

•   Principe de la protection de la vie privée, familiale et du domicile

•   L’ANI, dans ses attributions, est appelée à « participer à la surveillance des individus et groupes susceptibles de recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale et la paix sociale ; concourir à la fonction de surveillance du territoire ; collecter et traiter les données y relatives, concourir à la prévention et à la répression des actes de terrorisme… »

•   L’idée de prendre des mesures pour protéger la société et les citoyens contre les auteurs d’actes graves est une obligation positive de l’Etat. Mais, avec les nouvelles technologies, les mesures de surveillance ou de collecte des données peuvent prendre différentes formes. Ces mesures sont presque toujours considérées, selon un concept commun des jurisprudences respectives de la Cour interaméricaine et européenne des droits de l’homme, comme des ingérences, bien que de degrés de gravité divers, dans le droit au respect de la vie privée, du domicile ou de la correspondance des personnes qui en font l’objet. 

•    Les mesures de surveillance ou de collecte des données peuvent prendre aujourd’hui les formes telles la surveillance exercée sur les appels téléphoniques des individus ou émanant de locaux professionnels (bureaux d’avocats, de juges, d’experts comptables, de notaires,  de commerçants, organes de presse, …)  l’interception des communications,  la restriction du secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications, le courrier électronique et la consultation de l’Internet, la surveillance de l’usage de systèmes de messagerie électronique, la pose de micros par la police dans un lieu privé dans le cadre d’une information judiciaire, la sonorisation des lieux de détention, l’utilisation d’appareil d’écoute téléphonique, les perquisitions, l’enregistrement vidéo d’un individu au poste de police et la diffusion de cette séquence à la télévision, la conservation des empreintes digitales et données ADN, les saisies y compris la saisie  de fichiers informatiques et de messages électroniques …………

•   Or, la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont une obligation positive de l’Etat.

•   La Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969, ratifiée par Haïti, fait obligations aux Etats parties, en son article premier, de respecter les droits et libertés reconnus dans la convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne.

•   L’article 11, 2ème alinéa prévoit que « Nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation »

•   C’est donc le principe de la protection de la vie privée, familiale et du domicile.

•   La Cour européenne des droits de l’homme, dans une abondante jurisprudence, prévoit que l’ingérence de l’Etat à travers ses structures de surveillance ou de police, pour se justifier, doit répondre à trois critères simultanés :

•   L’ingérence doit-être prévue par la loi ; 

•   Il n’existe aucune loi aujourd’hui en Haïti sur les nouvelles technologies, la cybercriminalité, la protection des données personnelles.

•   Les télécommunications sont régies jusqu’à aujourd’hui par le décret de 1977.

•   L’ingérence doit poursuivre un but légitime dans une société démocratique ;

•   Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale sont les suivants :

L’ingérence doit être « nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui, à la lutte contre le terrorisme.

•   L’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique

•   Dans un arrêt de principe de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour a précisé que l’adjectif « nécessaire » n’a pas la souplesse de mots tels qu’« utile », « raisonnable » ou « opportun»;  Pour se révéler « nécessaire dans une société démocratique »,  l’ingérence doit tenir compte des valeurs de toute société démocratique qui sont la tolérance, le pluralisme et l’esprit d’ouverture.

•   Une ingérence pour brimer les droits civils et politiques, tel le droit de manifester n’est donc pas nécessaire dans une société démocratique.

•   La seule existence du décret portant création de l’ANI comme tant d’autres décrets pris par Jovenel MOISE constitue une violation des droits garantis par la constitution et les conventions internationales ratifiées par Haïti ;ce, du fait de l’absence du droit à un recours juridictionnel effectif contre ces décrets et du risque élevé que ces mesures de surveillance secrète soient appliquées aux citoyens et qu’un usage abusif de ces décrets pourrait être fait. Des recours contre ces mesures sur le plan régional ou international ont de véritables chances de succès. Les protestations populaires contre ces décrets sont aussi justifiées. Le droit à la révolte contre la tyrannie et l’oppression étant le suprême recours prévu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (DUDH) pour la protection des droits de l’homme.


•   Le principe de légalité

•   Le principe de légalité suppose que l’administration est soumise au droit. Une norme établie par l’administration (décret, arrêté) doit donc toujours être conforme à celles qui lui sont supérieures. C’est ce qu’on appelle, en droit, une obligation de conformité. Aucune loi, encore moins un décret, ne peut être respectée si elle est contraire aux traités et conventions internationales.

•   Si pour le citoyen on dit que tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis, en matière de protection des personnes, pour les forces de police et les services de renseignement, on dit tout ce qui n’est pas prévu par la loi est interdit. Et le respect du principe de la conformité doit être pris en compte pour le respect d’une norme édictée par l’administration dans un Etat démocratique. Il s’ensuit que le décret portant création de l’ANI comme tant d’autres n’est pas applicable.

•   Un gouvernement bénéficiant d’un large consensus ou un gouvernement élu peut rapporter par un texte en un seul article tous les décrets pris par Jovenel Moise. Mais, certains de ces décrets pourront être maintenus avec un toilettage nécessaire. C’est le cas de l’ANI.

•   Le droit de la défense

•   L’ANI a opté pour l’anonymat de ses agents et le secret comme mode de fonctionnement. Mais la doctrine du secret n’est pas explicitée comme c’est déjà le cas dans le décret du 8 septembre 2008 portant création de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC). Ce qui entrave considérablement le travail de l’ULCC.

•   Aucune classification n’est donnée entre le ″très secret″, le ″secret″ et le ″confidentiel″, c’est-à-dire des faits pouvant porter très gravement atteintes, gravement atteintes ou simplement atteintes à la sécurité de l’Etat devant déterminer la transmission des rapports aux autorités judiciaires ou à la classification comme secrets d’Etat. Le régime du secret n’étant toujours pas règlementé en Haïti.

•   Sans ces définitions claires et précises, on peut se demander : comment les informations recueillies par les agents de l’ANI pourront être utilisées par les tribunaux ?

•   Le procès équitable est l’un des engagements internationaux d’Haïti. Dans le cadre d’un procès pénal, s’agissant de savoir si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut se demander si les droits de la défense ont été respectés. Pour répondre à cette interrogation, Il faudra se demander si la personne poursuivie a eu la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve présentée contre elle et de s’opposer à son utilisation. Il faut également prendre en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles elle a été recueillie font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Comment une preuve recueillie sous le signe du secret peut donc être opposée à quelqu’un au tribunal ?

•   Le droit de la défense est incompatible aux méthodes déloyales de cueillette d’informations. Le prévenu doit toujours avoir le loisir, devant les juridictions de jugement, de contredire librement les éléments apportés contre lui par la partie poursuivante.

•   D’où la nécessité pour  l’ANI d’opérer en collaboration avec la justice. Ce qui n’est pas prévu dans ce décret.

•   De l’égalité de tous devant la loi

•   L’article 48 du décret au chapitre traitant des statuts de l’agent accorde une compétence étendue aux agents qui ″peuvent procéder à des perquisitions conformément aux lois et règlements″.

•   Le décret vise, en matière de procédure, une loi inexistante : Le code de procédure pénale. Il en est de même d’une institution également inexistante : Le Conseil National de Sécurité et de Défense CNSD). Dès lors, les moyens de procéder des agents seront déterminés uniquement par les règlements de l’Agence. Il s’agit là de faits extrêmement dangereux susceptibles de donner lieu à des abus. Or, s’il arrive, comme c’est souvent le cas dans ces services, que ces agents s’adonnent à des cas de graves violations des droits humains, l’article 49 leur accorde une immunité quasi-absolue. Il faut la combinaison d’une sanction interne pas toujours évidente et l’autorisation formelle du chef de l’Etat pour poursuivre un agent. C’est donc la violation du principe de l’Egalite de tous devant la loi.

•   De la transparence dans la gestion des fonds des services de renseignements.

•   L’article 69 du décret traitant des ressources de l’Agence prescrit que : « Les ressources financières nécessaires au fonctionnement de l’Agence proviennent des dotations budgétaires et autres fonds du trésor public ». Il s’agit là d’une ouverture au désordre, au gaspillage, à la corruption et à l’enrichissement inexpliqué. C’est d’ailleurs ce à quoi on assiste déjà sur les dépenses de l’Etat en matière de renseignements.

•   Cette disposition ne laisse non plus  aucune possibilité de contrôle des fonds alloués aux services de renseignement.

•   Dans certains Etats démocratiques, tenant compte de la spécificité des activités du service, il est établi que les fonds alloués au service de renseignements ne peuvent jamais dépasser, par exemple, un demi pour cent du budget du Ministère de la Justice. Il s’agit d’une formule qui pourrait faciliter le contrôle global de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) du budget de l’ANI.

•   Du décret pour le renforcement de la sécurité publique

•   Le décret du 25 novembre 2020 pour le renforcement de la sécurité publique, pris et publié, en même temps que celui de l’ANI donne une définition fourre-tout de l’infraction ″TERRORISME″ avec de lourdes peines (30 à 50 ans) et de lourdes amendes allant de deux millions (2, 000,000.00) à deux cents millions (200,000.00) de gourdes pour les personnes physiques ou dix millions (10,000,000.00) à un milliard de gourdes pour les personnes morales.

•   Des faits qualifiés par la loi de CONTRAVENTION  ou DELIT punis de peines légères (un jour à trois ans) sont transformés en actes de terrorismes punis  de 30 à 50 ans dans le but évident d’empêcher la jouissance des droits civils et politiques des citoyens-nes protégés par le Pacte international des droits civils et politiques et le Pacte de San Jose de Costa Rica. Le droit de manifester est particulièrement visé par ces dispositions.

•   La Cour interaméricaine des droits de l’homme dans des arrêts sur les lois d'amnistie prises par le Pérou en violation des droits proclamés par la Convention interaméricaine des droits de l’homme a déjà déclaré que ces lois  sont privées d’effet juridique.

•   Ces arrêts, pour des Etats assujettis à la compétence de la Cour comme Haïti sont des ″leading cases″ (cas exemplaires), c’est-à-dire les Etats parties à la Convention sont tenus de se conformer à ces arrêts. Donc, toute loi incompatible à la Convention interaméricaine des droits de l’homme est privée d’effet juridique, donc inapplicable. C’est le cas du décret pour le renforcement de la sécurité publique et de beaucoup de ces décrets pris par Jovenel MOISE.

•   Depuis l’affaire Velasquez Rodriguez c. Honduras du 29 juillet 1988, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a mis en exergue la distinction qu’il convenait de faire entre le devoir de l’Etat de protéger les droits et libertés inscrits dans la Convention et celui de garantir de tels droits. A l’obligation de respecter s’ajoute donc, selon la jurisprudence de la Cour, une obligation de garantie. Ce qui implique  le devoir des Etats parties à la Convention d’organiser tout l’appareil de l’Etat et, en général, les diverses structures à travers lesquelles le pouvoir public se manifeste aux fins d’assurer, au sens juridique du terme, le libre et plein exercice des droits de l’homme.

•   Haïti ne peut donc, sans violer ses engagements internationaux, maintenir les décrets du 25 novembre 2020.

Conclusion :
• Il ressort de cette analyse que l’ANI représente un danger réel pour le respect des droits et libertés fondamentaux garantis et protégés par la constitution, les lois , traités et conventions internationales ratifiés par Haïti.

•   L’ANI n’est pas créée dans le but de garantir la sûreté intérieure de l’État et la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel. Elle ne vise pas à garantir la sécurité des institutions de l’État et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

•   Autorité secrète, autocontrôlée, autosaisie, avec tous les pouvoirs  de police judiciaire, d’information et d’instruction et bénéficiant, en plus, d’une immunité quasi-absolue, l’Agence doit faire l’objet d’une législation plus adaptée aux valeurs d’une société démocratique.

•   Les méthodes et techniques qu’elle est appelée à utiliser, de même que ses structures de contrôle, ses rapports avec la justice doivent faire l’objet de définitions claires de manière à éviter les abus. L’idée de placer ses agents au-dessus de l’administration, de la police et de la justice pour mieux les contrôler tout comme celle de l’immunité quasi-absolue par ses agents pour les actes posés dans l’exercice de leurs fonctions doit être abandonnée.

•   Les sources d’informations pour la collecte des données (sources ouvertes, filature, infiltration, provocation, espionnage) ou les activités qui menacent ou pourraient menacer l’Etat, telles organisation criminelle, terrorisme, extrémisme, prolifération, ingérence, fondamentalisme religieux, organisation sectaire nuisible …) doivent  aussi faire l’objet de définitions conformément aux compréhensions universelles de ces concepts  dans  la nouvelle législation à venir.

•   Le décret du 25 novembre 2020 pour le renforcement de la sécurité publique doit être purement et simplement rapporté.

Port au Prince, 14 décembre 2020
Contact : Me Samuel Madistin
tel : (509) 3861 5050

Les décrets portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) et celui pour le Renforcement de la Sécurité Publique menacent-t-ils les droits et libertés fondamentaux ? la FJKL fait le point.

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